• - Camarades, dites-nous ce que vous voulez, nous vous expliquerons comment vous en passer.  (Michel Colucci, dit Coluche).

     

    C’est l’histoire d’un mec...vraisemblablement à la tête du parti communiste, qui s’adresse à ses camarades, comme ils disent : 

     

    -         Que voulez-vous ?

    -         Nous voulons ceci et cela ! 

    -         Bien !  Il va falloir faire sans les mecs !  Mais ne vous inquiétez pas, nous allons faire en sorte que vous n’en  souffriez pas. 

     

    Qui parle ici réellement ?  Coluche ou Michel Colucci ?

     

    Les humoristes, c’est bien connu, sont des êtres d’une grande politesse qui, sous une forme que Freud qualifierait de « socialement valorisée » disent leur désespoir fondamental, quel qu’il soit.  Sur scène, Coluche est de ceux-là.  Cependant, c’est bien Monsieur Colucci qui n’eut probablement de cesse d’éprouver l’absurdité d’un monde sourd à la misère des plus défavorisés, et d’une façon innovante, mais tout comme nombre de ses « camarades » de jeu, c’est le clown qui dénonça avec plus ou moins d’agressivité ce que Michel lui soufflait à l’oreille.  Sans doute est-ce ainsi qu’il parvint à vivre ; en « sublimant » à sa façon ce qu’une trop grande lucidité le condamnait à voir.  Exprimé directement, sans le détour de l’humour, sa conscience eût été dévastatrice.

     

    A présent, jouons un peu ! Au-delà de la plaisanterie, que peut-on entendre qui ne saute pas aux yeux  dans la citation ci-dessus ?  Pour répondre à cette question, faisons mine de croire que chaque mot a été savamment choisi par l’humoriste: « vouloir » au lieu de désirer et « expliquer » au lieu d’ « apprendre ».  Nous savons cependant qu’habituellement, dans le langage parlé, approximations et synonymies involontaires sont de rigueur.

     

    I – Première moitié de la phrase :

     

    « Camarades... » : Celui qui parle s’adresse à une foule avec laquelle il entretient vraisemblablement des rapports d’égalité.  Il n’en est à première vue que le représentant et non le dirigeant.  En tant que tel, il n’est que la synthèse des différentes voix qui se lèvent du peuple et son rôle consiste à renvoyer cette synthèse vers le peuple, à tenir celui-ci informé de ce qu’il pense.  Mais synthétiser n’est pas refléter.  Cela suppose une activité et capacité certaine à conceptualiser, à purifier.  Dès lors, le représentant est plus qu’un représentant ; en réduisant le divers à l’unité, il risque à chaque instant de s’insinuer personnellement dans ce qu’il fait et laisser quelqu’un sur le bord de la route par manque de précision.  Tout le monde ne peut pas être à cette place.  A se considérer comme l’égal de ceux-là même dont il se fait la synthèse, il fait en outre preuve d’une grande humilité.  Il est proprement exceptionnel ! 

    Mais n’y a-t-il pas une erreur logique, possiblement intentionnelle à  maintenir la distinction entre représenter et diriger ?  Qui plus est, le « Nous » auquel il fait allusion ne l’éloigne-t-il pas plus qu’il n’y paraît du peuple dont il se réclame pourtant ?   N’est-il pas plus précisément, le représentant d’un comité représentatif dont il fait partie ? 

     

    Par ailleurs, les personnes auxquelles ils s’adressent sont supposées savoir ce qu’elles veulent, or, il existe une différence majeure entre désirer et vouloir.  Quand le désir seul mène la barque et que, ce faisant, il ne la mène pas du tout ; quand il se contente de rêver à des temps meilleurs comme un enfant attend de son père qu’il fasse à sa place ce qu’il ne peut pas encore faire lui-même ; quand le désir semble aliéner spontanément le sujet d’où il s’origine au point d’espèrer qu’un autre l’impose au monde, la volonté, quant à elle, se détermine stratégiquement à atteindre son but.  En un sens, le désir ne serait le désir de personne, tandis que la volonté serait nécessairement d’un sujet en tant qu’il assurerait la continuation, la temporalisation, la traduction d’une impulsion initiale en un monde où respirer.  Le sujet serait ontologiquement volontaire, et ce n’est que par abus de langage que nous parlerions d’un sujet désirant.     

    Ces mêmes personnes sont en outre censées être à même de dire ce qu’elles veulent, c’est à dire de le formuler de telle manière que ceux qui ont le pouvoir de les aider concrètement à réaliser leur volonté la réalisent, et ici, le mot volonté est important en ce sens qu’il présente le citoyen comme un individu déjà actif qui n’attend qu’un supplément de force de la part d’un représentant (dirigeant).

     

    Commentaire possible de cette première analyse : Le dirigeant est remarquablement habile qui se fait passer pour le simple représentant d’un peuple-déjà-sujet qui « veut » et « dit » ce qu’il veut, alors qu’il est à tout le plus celui d’un comité restreint auquel il appartient prioritairement autorisé à la synthèse dont il est le concentré second.  Fausse modestie et flagornerie ?!  Pourquoi pas !  Tout l’art de la persuasion et de la démagogie réside peut-être en ces mots. 

     

    II – Seconde moitié de la phrase :

     

    C’est là que réside l’humour, ou plus exactement dans le rapport de la première partie de la phrase avec celle-ci, le passage de l’une à l’autre.  Quand la première moitié tient toute seule : « Camarades, dites-nous ce que vous voulez... » et ne contient aucun élément comique, la seconde, elle : « ...nous vous expliquerons comment vous en passer. » n’existe que dans sa dépendance à elle et son effet découle de cette dépendance même. 

    Outre le sous-entendu évident qui semble définitivement promettre une attente éternelle à « ceux qui veulent » pourtant, le duo (Colucci)-(Coluche) ne se poserait-il pas incognito en maître-feint du stoïcisme ou en apôtre-minaudé du christianime ?  Non, bien sûr !  Il semblerait plutôt regretter que l’on dût renoncer à vouloir.  Mais continuons! De « Camarades, apprenez à vous passer de ce que vous voulez ! » à  « Aime ce que tu as  » ou « Mon royaume n’est pas de ce monde » , il n’y a pas loin.   Si nous faisons semblant de ne pas comprendre le message qui apparaît avec ce dernier tronçon de phrase, à savoir : « cause toujours, tu n’auras rien, ce que tu veux n’est pas mon affaire, parle-moi de moi, ya qu’ça qui m’intéresse... », nous pouvons en effet y voir une invite faite à la sagesse et la sainteté.

    Enfin, arrêtons-nous sur le verbe « expliquer ».  Expliquer n’est pas apprendre.  Expliquer un texte à un élève par exemple n’équivaut pas à lui transmettre la méthode grâce à laquelle il parviendra à le comprendre sans vous. « Nous vous expliquerons comment vous en passer. » est donc incompréhensible en ce sens.  Comment peut-on expliquer ce qui ne peut que s’apprendre ?  Autrement dit, est-il possible de maintenir un individu dans un état de  dépendance vis à vis d’une méthode qui est censée l’affranchir de toute dépendance?  Non, cela ne se peut pas.  A moins que le leader tienne consciemment à ce que ses camarades ne puissent pas se passer de lui, il aurait dû dire : « Nous vous apprendrons comment vous en passer. »  Mais certains objecteront qu’une très bonne explication transmet toujours en même temps ce qui manque à celui qui l’écoute dans le but de le rendre autonome au plus vite, et  ils auront raison.

     

    Commentaire possible de cette dernière analyse : Coluche est lucide, son engagement politique dépasse les partis.  Son esprit est celui d’un libertaire dans la mesure où il établit en acte une distinction fondamentale et toute révolutionnaire entre une morale politique toujours tributaire des institutions,  une morale politique dont la source est à chercher dans la peur du bâton, et une éthique politique qui renvoie à notre conscience adulte et privée en congédiant l’immaturité citoyenne inhérente à nos sociétés actuelles.  Nul doute qu’un certain Maurice Joyeux devait voir en lui la sainteté laïque incarnée. 

     

    Thierry Aymès

     

    (Copyright: T.Aymès/PACAINFOECO-www.pacainfoeco.com)


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique