• On n'aime que dans la séparation et jamais dans la fusion. (Françoise Dolto)

     

    Aimer, verbe fourre-tout par excellence.  On aime sa femme, les fromages qu'elle a achetés ; on aime son chien à soi, son propre travail ; on aime l'amour bref...l'amour que l'on éprouve pour ceci ou cela ne semble pas exiger, sous l'influence de l'objet aimé, que l'on utilise un autre verbe pour le désigner ; aucune matérialisation, dans notre langue, de l'effet qu'opère l'objet chéri sur le sujet aimant.  A tout le plus faut-il imaginer sur parole que l'amour d'un tel pour son épouse diffère qualitativement, de celui qui l'anime lorsqu'il se trouve devant un bon plat. 

    Mais en dépit de sa décontextualisation, et sachant que Françoise Dolto est pédiatre et psychanalyste pour enfants, il y a fort à parier que la phrase à commenter fait allusion à l'amour d'un humain pour un autre. 

    Trêve de plaisanterie, n'est-il pas étrange a priori de penser qu'il n'y aurait amour que dans la séparation et non dans la fusion ?  Affirmer ceci, n'est-ce pas dire le contraire de ce que pensent la plupart des gens ?  Voyez comme il semble aller de soi que dans un jeune couple chacun aspire à l'union avec l'autre, rejouant ainsi la définition qu'un certain Aristophane donne de l'amour dans Le Banquet de Platon !  Le mythe d'un hermaphrodisme initial est bien présent, jusque dans nos expressions les plus courantes.  « Je te présente ma moitié ! » me dit un jour un ami que j'avais perdu de vue.  Est-il besoin d'en dire plus ?

    A y regarder de plus près, que désirent les amants en vérité ?  ou, plus précisément, que ne désirent-ils pas ? (inconsciemment s'entend).  Ils ne désirent pas l'autre en tant qu'autre, mais en tant que même.  Ce qu'ils veulent, c'est la ressemblance.  D'ailleurs, ne disent-ils pas : « c'est fou, on est pareil ! On a les mêmes goûts, les mêmes rêves, les mêmes projets ; c'est génial !».  Génial oui, mais pour combien de temps ?  Le réveil ne risque-t-il pas d'être cruel ? Comment ne se rendent-ils pas alors compte de l'immense part narcissique en œuvre dans leur attachement mutuel ?  L'autreté de l'autre, son altérité est précisément ce qui doit disparaître dans la fusion.  Il s'agit de l'annuler en tant que désir autonome potentiellement en désaccord avec le mien.  D'où une conclusion qui semble s'imposer : l'autre pourrait bien n'exister qu'à proportion de la résistance qu'il oppose à mon désir.  N'est-il pas alors souhaitable qu'il me résiste dans la mesure où seule cette résistance me garantit une sortie salutaire hors de moi-même ?  Car l'amour fusion est cannibale en ce qu'il n'envisage l'autre qu'en tant que prolongement de soi, nous l'avons compris.  Il ne le laisse pas être différent ; il a peur de la différence dans la mesure où elle le menace de solitude. 

    « Aimer dans la séparation » est tout autre chose.  Il s'agit de prendre acte de l'irréductible autreté de l'autre au même et de l'insurmontable solitude existentielle dans laquelle chacun se trouve.   C'est en ce sens et en ce sens seulement que l'autre peut apparaître en tant que tel et permettre une véritable rencontre.  Le mot « séparation » est à entendre ici dans sa dimension originelle.  A peine né(e)s, nous sommes de facto séparés et la vie n'est finalement qu'une succession de séparations venant confirmer la première.  « Vivre l'amour » impliquerait donc une certaine distance qui ne nous permettrait pas de transformer une douce et saine proximité en une promiscuité mortifère.  L'autre ne serait plus alors un complément, mais un supplément.  D'une certaine façon, pour « aimer vraiment » encore faut-il se savoir inexpugnablement seul  et tenir à ce que chacun le reste.  C'est ainsi que l'amour ne peut pas être qu'un sentiment.  Etonnant en effet !

     
     
     
     
     

     

    Thierry Aymès

     

    (Copyright: T.Aymès/PACAINFOECO-www.pacainfoeco.com)


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